Judgement — Keithiel.

Comment ça, je suis condamné ?

Du bruit. Trop de bruit. Nouveau soupir, je voulais partir d’ici et enfin être au calme. J’avança ma tête un peu plus en avant, observant les alentours. La plaine centrale d’Antelly n’était pas si loin, je devais juste réussir à passer la garde de la porte de la ville... Mais comment passer la troupe de soldat ? Je pensais trop, n’avais-je pas juste à me fier à mon instinct ? J’avais juste à me lancer, me lancer ! Sauf qu’au moment ou je comptais le faire une jeune femme s’était élancée devant moi, me bloquant la route. Tss... J’aurais pu m’envoler d’ici si cette fichu ruelle n’était pas si étroite ! Bon sang, pourquoi ce genre d’étourderie m’arrivait si souvent ? Si seulement je savais me métamorphoser en Phœnix sans faire trois fois ma taille ! J’aurais pu facilement filer d’ici. Je fronça mes sourcils, donnant un regard froid et dur sur celle qui m’avait dérangé.

« Putain, mais c'est pas possible. On peut pas se balader tranquillement ici ! Et puis vous là ! .. »

Mes pupilles sugilites la dévisagèrent sans gêne, ne me souvenant que trop bien de qui elle était. Kate, Kate, Kate... Tu n’aurais pas pu mal tomber. Qu’allais-tu faire, joujou de la famille Royale, m’arrêter ?... Hmph. Non après tout, tu croyais encore en moi la dernière fois. Alors pourquoi pas encore aujourd’hui ? Il était pourtant sans doute trop tard. Et je savais bien que dans ce regard d’améthyste, tu avais déjà percé mes barreaux. Tu savais que j’étais condamné à agir ainsi pour que je me sente un temps soit peu vivant. Tu savais, mais étrangement tu continuais de croire. Futilité...

— La ferme, Kate... Tes copains me courent après.

Oui, je sais bien. Je suis un Noble, je ne devrais pas parler ainsi et puis... Il y avait mieux comme phrase de retrouvailles. Mais elle m’avait agressé la première et je n’étais pas calme. Je ferma les yeux, un instant, me concentrant davantage. Dans ma main, que je plaça face à moi, naquis un petit oiseau fait de flammes. Rouvrant les yeux sur ma progéniture qui m’observait d’un air noble, je jeta furtivement un regard sur Keithiel avant de souffler sur la créature magique qui s’envola en piaillant. Son chant se poursuivit deux secondes et il disparu pour aller imploser bien plus loin, créant un vacarme digne d’une superbe diversion ! Je souris alors que les gardes partirent vers là-bas en hurlant toujours plus. Croyaient-ils vraiment pouvoir m’attraper cette fois ci encore ? Ha ! La prochaine fois peut-être. Je sortis mes ailes aux reflets flamboyants, m’avança dans la rue d’en face sans un regard à Keithiel, je savais très bien qu’elle allait me suivre. Une fois moins à l’étroit et sans gardes à l’horizon, je pris mon envol sans attendre mon reste, mon butin au creux de mes mains. Je mis le cap vers Antelly après avoir dépassé les nuages où je me débarrassa de mon manteau à capuchon sombre. De là, je partis vers la plaine en piquet et quelques minutes ci-après, j’atterris aux creux des herbes hautes, non loin d’un chemin large qui m’emmènerais sans doute à Elvendil. Je décidais d’attendre cinq minutes avant de prendre la route. Cela suffirait à Kate pour me rattraper si elle avait décidé de me suivre.

Se damner avec grâce et application.

Comme prévu, la demoiselle arriva peut après. J’avais failli attendre ! Son regard luisait de colère, je la rendais furieuse, indécise et impulsive mais c’était si agréable à observer. Presque comique. Plus elle se débattait, plus elle creusait sa propre tombe. Réfléchir à ce qu’elle devait faire de moi était une perte de temps, j’étais encore actuellement hors de sa portée. Peut-être avec du temps, cela changerait mais ce n’était pas encore le moment. Elle se posa gracieusement, comme à son habitude. Elle était l’une des rares de notre peuple à posséder quatre ailes. Et même si je ne m’intéressais pas vraiment à la gente féminine pour l’instant, personne ni moi-même ne pouvait rester indifférent à cette beauté ailée. Deux paires d’ailes pouvait apparemment changer tout un être. Elle me dévisageait et encore une fois, j’en fus presque sûr, elle se demandait à quoi ces vols me servaient. Je n’en avais pas vraiment besoin pour vivre puisque l’argent ne manquait pas. J’étais de bonne famille et d’une éducation noble alors je n’étais pas soupçonné de tels actes. Pourtant personne ne comprenait ce que cela pouvait bien m’apporter.. Quel gâchis.

Je caressais du bout des doigts les herbes hautes d’Antelly à mesure que je m’avançais vers la route. C’était le calme après la tempête mais aussi avant vu la charmante compagnie que j’aurais. Elle bouillonnait et je m’amusais à estimer le temps qu’elle tiendrait avant de me hurler dessus. Deux minutes, peut-être trois ? Elle me détailla profondément encore quelque instant, un acte qui ne me déstabilisais plus vraiment, j’avais l’habitude. Elle ferma les yeux. Attention c’est parti.

— Alors c'est quoi cette fois-ci ? Des pièces, de l'or ? Des bijoux, des documents importants ? Qu'est-ce que tu as volé ?!

Ce que c’était ? J’avais volé une irrépressible envie de vivre. Le collier n’était qu’un outil pour y parvenir mais ça c’était un secret. Keithiel quitta mon regard d’améthyste pour se plonger vers le paysage, l’horizon. Peut-être pour y trouver un peu plus de calme. Je n’avais pourtant pas actuellement une attitude des plus déplaisante, j’étais neutre, calme quoi qu’un peu froid. Moi, je ne la quitta pas du regard, je n’avais pas pour habitude de fuir mes problèmes même si Kate était un cas particulier. Lui faisais-je confiance ? Oui et non. Non et oui. Pour détailler, je dirais oui mais, en gardant tout de même une marge de manœuvre. Après tout, à la base, elle restait une potentielle ennemie.

— Pourquoi as-tu besoin de faire tout ça ? Tu me fous dans la merde putain ! Tu me mets dans une putain de situation, tu le comprends ?! Non, en fait tu ne comprends pas. Je ne suis qu'un pion à déplacer dans ton jeu.

Si tu savais Keithiel peut-être me regarderais-tu différemment d’aujourd’hui. Ton regard hargneux qui me transperce et tes mots provocateurs sont tes seules armes. Des armes bien insignifiantes. Quand ? Quand oseras-tu me faire véritablement face ? Quand poseras-tu les bonnes questions ? Quand comprendras-tu ce qui semble tellement hors de ta portée et qui pourtant et là sous ton regard ?! Depuis que nous sommes enfants, tu as toujours été là et cette proximité te rendais aveugle. Je suis parti loin de toi pour que tu murisse, pour que tu comprenne mais, il semblerait que seule la première partie soit acquise. Et je ne peut rien faire de plus Kate. Rien. Tout dépend de toi. Tu penses que me faire peur stoppera mes agissements ? Tu penses vraiment y arriver ?

— Crois bien qu'un jour le vulnérable pion sera la cause de ta perte !

Un pion... ? Dans ce cas, dis-moi ma belle Keithiel, lequel es-tu ? Un simple Pion destiné à être utilisé jusqu’à la mort. Un Cavalier pour menacer et protéger. Un Fou pour gêner et bloquer les adversaires. Ou peut-être bien la Tour qui n’est utile qu’en fin de partie.. Tu penses être l’un de ses sous-fifres ? Peut-être es-tu le Roi qui doit constamment être protégé, gênant la progression de ses alliés. A mois que tu ne sois la fameuse Dame ? La pièce la plus puissante mais aussi la plus subtile à jouer. A ton avis quelle pièce aurais-je pu t’attribuer ? Tu avances, tu recules. A y voir de plus près, oui on dirait bien une pièce sur un plateau d’échiquier... Alors que vas-tu jouer au prochain tour Keithiel, dis-moi.

— De toute les pièces de l’échiquier, tu n’es point le Pion. Tu aurais pu être la Dame, Kate, mais la Dame se doit d’être subtile, maligne et intelligente pour frapper au moment opportun. Hors tu n’analyses pas, tu ne comprends rien. Je me demande bien qui tu es sur ce plateau.